Avec un peu de recul, le rôle des religions dans la préparation de la COP21
« La mission de Nicolas Hulot consistait à mobiliser l’opinion internationale sur l’urgence des crises écologiques : l’implication des religions était donc une évidence ! »
Stéphanie LUX
Conseillère de Nicolas Hulot pendant la COP21
Avec Nicolas Hulot, vous avez souhaité mobiliser les acteurs religieux dans la perspective de la préparation de la COP21. Quel a été le déclic chez vous pour chercher à rencontrer ces acteurs ?
Le déclic a été immédiat ! Nicolas Hulot a été nommé en décembre 2012, et dès mars 2013, nous avons adressé un premier courrier aux responsables des cultes en France . Parce qu’il apparaissait comme une évidence que la préservation du vivant, de la création, de la nature les termes diffèrent selon les croyances devait être réaffirmée par les religions : la présence de cette question dans les textes est une constante. Hors, à l’exception des bouddhistes, des hindouistes, des protestants et des orthodoxes, les grandes religions s’étaient peu exprimées sur le sujet. Alors que leur parole porte, les catholiques et les musulmans étaient, à de rares exceptions près restés silencieux sur ce sujet. La mission de Nicolas Hulot consistait à mobiliser l’opinion internationale sur l’urgence des crises écologiques : l’implication des religions était donc une évidence ! Non seulement cette question est présente dans les textes, mais les temps de recueillement sont des moments propices à la réflexion sur nos choix de vie, sur le monde que nous laisserons aux générations futures. Mon intuition de départ était que les religions étaient présentes sur le terrain (50% des structures éducatives et 35% des lieux de soins dans le monde sont confessionnelles) et c’est la raison pour laquelle je tenais à aller vers les acteurs religieux. L’écologie est un sujet qui peut rassembler et apaiser.
C’est dans cet esprit que vous avez organisé le Sommet des consciences ?
Nous avons organisé le Sommet des consciences en juillet 2015 à Paris. Cet événement n’était pas évident à organiser en raison de la mauvaise image de la France à l’étranger sur la question de la laïcité. La laïcité est une notion très française, intraduisible en anglais. Aussi, nous avons cherché à donner à voir ce que pouvait être la laïcité en réunissant autour d’une cause commune, la préservation de la planète, moitié d’autorités spirituelles et religieuses et moitié de personnalités engagées pour la protection de l’environnement, sous l’égide de représentants politiques de haut niveau.
Quels acteurs religieux avez-vous mobilisés ?
Nous avons commencé par la France en nous adressant aux membres de la CRCF (Conférence des Responsables de Cultes en France). Compte tenu du caractère de la mission de Nicolas Hulot, directement rattachée au Président de la République, nous nous sommes adressés aux interlocuteurs habituels de l’Etat. Par ailleurs, nous avons aussi effectué plusieurs voyages au Vatican, où nous avons rencontré notamment Mgr Sanchez Sorondo, président de l’Académie pontificale des Sciences, le cardinal Turkson (président du Conseil pontifical justice et paix), le cardinal Tauran (président du conseil pontifical pour le dialogue interreligieux), Mgr Paglia (président du conseil pontifical pour la famille)… Le Patriarche œcuménique de Constantinople, Bartholoméos, pionnier sur cette question, a été un allié précieux sur ce sujet. Nous avons également cherché à rencontrer de façon systématique les Autorités religieuses des pays visités par Nicolas Hulot dans le cadre de sa mission. Ainsi, avec le soutien du réseau diplomatique, Nicolas Hulot atil pu s’entretenir avec le Grand Imam d’Al Azhar alTayyeb, le Ministre en charge des Abous au Maroc, l’Archimandrite Philarète à Moscou ou le Président de la Diyanet en Turquie (très sensible à cette question alors que le pays n’est pas du tout écologique).
L’action de certains acteurs religieux a-t-elle été déterminante dans l’accord final de la COP21 à Paris ?
L’encyclique du Pape a été absolument majeure. La voix du Pape parle bien au-delà des seuls catholiques. La radicalité du texte a quelque chose d’étonnant, il est d’une force incroyable. La déclaration islamique sur le changement climatique lancée le 18 août 2015 à Istanbul et reprise par le CFCM, est aussi un texte très ambitieux, plus court, très concret. Ce qui est important dans ces déclarations est la mobilisation qu’elles peuvent susciter : le Pape comme le texte lancé par les musulmans à Istanbul touchent tout le monde, du simple citoyen au chef d’Etat. Ces prises de position fortes des responsables religieux ont exercé une pression qui a permis d’aboutir à un accord universel sur le climat. Sur le texte final, nous aurions naturellement aimé qu’il comporte plus d’engagements précis…
Une rencontre en particulier vous a-t-elle marqué ?
La rencontre entre Nicolas Hulot et Mgr Paglia, président du conseil pontifical pour la famille, a été un beau moment : très au fait des problématiques écologiques, il a mis en exergue le fait que nous souvenir du caractère limité des ressources de notre planète permet de rappeler les limites que l’être humain doit aussi respecter dans son comportement quotidien à l’égard de ses semblables. J’ai par ailleurs été frappée par la forte présence des jésuites sur le terrain ; j’ai été très touchée par la lettre du père jésuite R. MinaniBihuzo qui, nous signalait avoir pris contact, suite au Sommet des Consciences avec les jésuites d’Amérique latine pour solliciter leur expertise sur la question difficile du respect des droits des peuples autochtones. J’en ai été surprise mais c’est probablement un sujet qu’ils n’abordent pas forcément entre eux lors de leurs rencontres habituelles.
L’ARC, britannique au départ, a réussi une chose extraordinaire dans le monde anglophone en favorisant une étroite collaboration entre experts de l’environnement et acteurs confessionnels. Leur participation à l’organisation du Sommet des consciences a été décisive…
Votre mission auprès de Nicolas Hulot pour la COP21 a pris fin, vous souhaitez continuer sur cette lancée ?
L’idée d’organiser un autre Sommet des consciences me tente bien… Nous avons, avec l’ensemble des partenaires organisateurs, élaboré une charte éthique de ce que pourraient être d’autres Sommets des consciences. Un second s’est déjà tenu aux Philippines.
Sur l’écologie, sur le climat, beaucoup reste à faire pour mettre en œuvre les engagements pris à New York (sur les Objectifs du développement durable) comme à Paris ! Et quel plus bel objectif de “faire ensemble” que de prendre soin de la maison commune. Rassembler personnalités morales et religieuses, avec toutes les personnes engagées pour la protection de l’environnement pour agir au plus près des populations déjà affectées par la dégradation de notre environnement, par les premiers effets du dérèglement climatique est une splendide feuille de route… A construire ensemble !
Propos recueillis par Lucy de Noblet, initialement mis en ligne le 7 mars 2016 sur le site religiousnetworking.eu (fermé).